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letra de l'alternative - tina-ève

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[paroles de “l’alternative”]

le ciel est bleu bébé, tu fixes tes pieds
concentrée comme un petit bouddha, tu presses le pas

(t’as rendez-vous)

t’essayes de pas toucher aux craques du trottoir
tu gardes l’œil ouvert, tu guettes les chats noirs

tu check ta face dans les vitrines
sept ans de miroirs cassés

(t’as rendez-vous)

t’as l’impression que tout le monde te regarde de travers
comme si y savaient ce que tu t’en vas faire

dans un taxi, t’aurais été à l’abri
mais en te déposant, le chauffeur aurait compris
dans le meilleur des cas, y’aurait rien dit
mais t’en doutes
là-dessus, tout le monde a une opinion

(t’as rendez-vous)
avant de te mettre au lit, t’as imprimé le trajet pour aujourd’hui
tu doutes de tout, même de siri

tu prends pu de chance, doubles précautions
juste au cas où, t’as fait google street view

(t’as rendez-vous)

t’as vu qu’au coin d’la rue y’a une boutique de cartes du monde
c’est l’genre de place où t’entreras jamais pour demander conseil
ça fait longtemps que t’attends que germent en toi des envies de pack-sack et d’aventures
mais tout ce qui te hante, c’est la littérature

y te semble que si c’était pour aller voir des rhinocéros
tu aurais davantage raison d’avoir pris rendez-vous
le monde regarderait les photos de ton safari
pis s’entendrait pour dire que :
« c’est fou, t’as touché au cuir gris d’une bête féroce
hey, of course que ça valait la peine. »

là, pour le moment
t’arrives pas encore à concevoir ce que vaudra ta peine
en auras-tu, en auras-tu pas?
t’arrives pas à le figurer

tu voudrais un esprit plus aiguisé
pouvoir trancher la question
ne plus t’écarteler entre le oui et le non
tu fais que séparer des feuilles blanches en deux colonnes
argumenter le pour, le contre, le pour, le contre
le pour, le contre
la liste s’allonge, la fatigue t’oblige à t’étendre
tu fais des siestes d’après-midi
ça, tu sais pas si c’est un pour ou un contre
repos obligé, ton corps prend le dessus
ça finira jamais de t’impressionner

tu sais tout c’qu’il y a à savoir sur le sujet
t’as obtenu le méritas de bio en secondaire 4, mais pareil
quand t’as compris que ton corps avait enclenché la machine, encore
que c’était pas juste une farce plate

t’as feelé un peu comme la sainte vierge, tombée des nues
vraiment su’l cul, devant ton pouvoir inconnu

un moment de magie comme après les betteraves ou les asperges
quand ton corps te surprend
te rappelle ce que t’as mangé pour dîner

pour conjurer le sort, t’as essayé
le whisky, les vendredis sushis, la boxe, l’aérobie
les jumping jack pour purger l’erreur
les aspirines aux quatre heures

des après-midis de pensées positives à fermer tes paupières
à visualiser des plaines, des déserts
rien à faire, le cœur continuait
constant, courageux
tu l’engueulais
petite matrone, t’exigeais :
« arrête de battre, arrête de battre, arrête de battre »

tu aurais voulu t’éteindre tant de fois, te reposer
shut down de l’âme, black out de toute
ton corps a jamais rien voulu savoir
toujours… pou poum, pou poum, pou poum

ton corps veille, petit sultan insultant
c’est encore lui le big, big winner
tons esprit, tous ces examens, ces livres que t’as lus
toutes ces choses qui te rendent intelligentes, articulée
à quoi servent-elles maintenant?

t’aurais voulu en parler à tes parents
expliquer ta fatigue, ton manque d’appétit
le pourquoi de tes siestes d’après-midi
mais… ça aurait gâché l’souper, pis la pizz’ était bonne
t’as ravalé l’idée

tu te revois
jolie petite bolée trônant sur le bol
jeans aux genoux et test en main
comme accusée de plagiat
tu te débats, tu te défends

pendant que tu pensais courir sur un tapis roulant
ton corps préparait un nid
incognito, sans dire un mot
pus toute seule dans ta peau

quand t’as compris ce qui t’arrivait
t’as ressenti de la joie trente secondes
une adrénaline de loterie
enfile ta plus belle robe à fleurs, marche jusqu’au dépanneur
valide le billet, pis après
let’s go mon guy pour le gold et le gros lot

la madame se voit déjà
elle est là, à côté de guy
y lui pose la question
‘a répond : « l’œuf, l’œuf
j’vas t’prendre l’œuf »
y la prend dans ses bras
‘a crie « cocorico »
regarde-la s’envoler, planer bin bin haut
pis retomber, aussitôt
guy est pu là
fait un boutte qu’y a pris son congé
pu capable de la poule, de l’œuf, des questions

(t’as rendez-vous)

si tu te fies à google street view
rendu aux quatre points cardinaux
sur st-hubert, y’aura un drapeau
si tu gardes les yeux dessus, t’auras presque atteint ton but
rendu-là, panique pas… respire
chante dans ta tête, calme ta tempête
perds pas le drapeau de vue
quand tu seras rendue devant l’escalier en fer forgé
y te restera juste à monter

(t’as rendez-vous)

t’es partie vraiment tôt
pour une fois que tu sais où tu t’en vas
y t’attendent à huit heures et quart

la ride est longue à pied
t’es fatiguée, mais presque rendue
c’t’une affaire de quelques coins de rue

tu penses aux femmes qui prennent l’avion
qui changent de province, de pays, de religion
à celles qu’on traite en petites filles
qui doivent mendier des permissions
comme un enfant demande un autre biscuit

supporter le contrôle, parental, médical, gouvernemental
encaisser de se faire dire non
pis chercher des solutions
coûteuses, dangereuses, impossibles

tu penses à annie ernaux, à chantale daigle
broche à tricot et tribunaux

pis te v’là, t’es rendue
tu vois le drapeau
tu gardes les yeux dessus
t’as presque atteint ton but
panique pas, respire
chante dans ta tête
calme ta tempête

l’escalier en fer forgé, c’est là
te reste juste à monter

(t’as rendez-vous)

la rampe est chaude
le soleil jaune fluo
tu regardes le drapeau, le vent
dans l’alternative

tu tangues en haut des marches
tu veux virer de bord
comme un dernier relent d’espoir
qui te prend à bras le corps

(t’as rendez-vous)

la secrétaire te reconnaît
ton air de centre palliatif
ton corps de corbillard
la corneille noire dans ton regard

tu marches jusqu’au comptoir
tu dis ton nom
vibration des cordes vocales
déluge

tu voudrais avoir le swag d’un canard
que ça te coule sur le dos et pas sur les joues
quand tu dis : « j’ai rendez-vous »

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