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letra de la prose du transsibérien - gabriel kröger

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en ce temps-là j’étais en mon adolescence
j’avais à peine seize ans et je ne me souvenais déjà plus de mon enfance
car mon adolescence était si ardente et si folle
que mon coeur tour à tour brûlait comme le temple d’éphèse

ou comme la place rouge de moscou quand le soleil se couche
et j’étais déjà si mauvais poète
que jе ne savais pas aller jusqu’au bout
puis, tout à coup, les pigеons du saint-esprit s’envolaient sur la place
et mes mains s’envolaient aussi avec des bruiss-m-nts d’albatros

dis, blaise, sommes-nous bien loin de montmartre ?
dis, blaise, sommes-nous bien loin de montmartre ?
dis, blaise, sommes-nous bien loin de montmartre ?
dis, blaise, sommes-nous bien loin de montmartre ?

pourtant, j’étais fort mauvais poète
je ne savais pas aller jusqu’au bout
et j’aurais voulu broyer tous les os
et arracher toutes les langues
et liquéfier tous ces grands corps étranges et nus sous les vêtements qui m’affolent

et le soleil était une mauvaise plaie
qui s’ouvrait comme un brasier
en ce temps-là j’étais en mon adolescence
j’avais à peine seize ans et je ne me souvenais déjà plus de ma naissance

en sibérie tonnait le canon, c’était la guerre
et les eaux limoneuses de l’amour charriaient des millions de charognes
dans toutes les gares je voyais partir tous les derniers trains
et les soldats qui s’en allaient auraient bien voulu rester

dis, blaise
(or, un vendredi matin)
sommes-nous bien loin de montmartre ?
(ce fut enfin mon tour)
dis, blaise
(on était en décembre)
sommes-nous bien loin de montmartre ?
(je m’en souviens)
dis, blaise
(j’étais très heureux, insouciant)
sommes-nous bien loin de montmartre ?
(je croyais jouer au brigand)
dis, blaise
(et pourtant, et pourtant)
sommes-nous bien loin de montmartre ?
(j’étais triste comme un enfant)

je suis couché dans un plaid
bariolé
comme ma vie
et ma vie ne me tient pas plus chaud que ce châle écossais

et l’europe toute entière aperçue au coupe-vent d’un express à toute vapeur
n’est pas plus riche que ma vie
ma pauvre vie

ce châle effiloché sur des coffres remplis d’or
avec lesquels je roule
que je rêve
que je fume

et la seule flamme de l’univers
est une pauvre pensée
du fond de mon cœur des larmes me viennent
si je pense à ma maîtresse

pâle, immaculée au fond d’un bordel
elle ne sourit pas et ne pleure jamais
mais au fond de ses yeux, quand elle vous y laisse boire
tremble un doux lys d’argent, la fleur du poète

ma pauvre amie est si esseulée
elle est toute nue, n’a pas de corps
elle est trop pauvre
et cette nuit est pareille à cent mille autres
quand un train file dans la nuit
et que l’homme et la femme
même jeunes, s’amusent à faire l’amour

je suis en route
j’ai toujours été en route
le train fait un saut périlleux et retombe sur toutes ses roues
le train retombe sur ses roues
le train retombe toujours sur toutes ses roues

paris a disparu et son énorme flambée
il n’y a plus que les cendres continues
la pluie qui tombe
la tourbe qui se gonfle
la sibérie qui tourne
les lourdes nappes de neige qui remontent
et le grelot de la folie qui grelotte comme un dernier désir dans l’air bleui
le train palpite au cœur des horizons plombés
et ton chagrin ricane

les inquiétudes
oublie les inquiétudes
toutes les gares lézardés obliques sur la route
les files télégraphiques auxquelles elles pendent
les poteaux grimaçant qui gesticulent et les étranglent
le monde s’étire s’allonge et se retire comme un accordéon qu’une main sadique tourmente
dans les déchirures du ciel les locomotives en folie s’enfuient
et dans les trous
les roues vertigineuses, les bouches, les voies
et les chiens du malheur qui aboient à nos trousses
les démons sont déchaînés
ferrailles
chocs
rebondiss-m-nts
nous sommes un orage sous le crâne d’un sourd

dis, blaise, sommes-nous bien loin de montmartre ?
dis, blaise, sommes-nous bien loin de montmartre ?
dis, blaise, sommes-nous bien loin de montmartre ?
dis, blaise, sommes-nous bien loin de montmartre ?

non mais
fiche-moi la paix
laisse-moi tranquille
tu as les hanches angulaires
ton ventre est aigre et tu as la chaude-p-sse
c’est tout ce que paris a mis dans ton giron
c’est aussi un peu d’âme
car tu es malheureuse
j’ai pitié j’ai pitié viens vers moi sur mon cœur

les roues sont les moulins à vent d’un pays de cocagne
et les moulins à vent sont les béquilles qu’un mendiant fait tournoyer
nous sommes les culs-de-jatte de l’esp-ce
nous roulons sur nos quatre plaies
on nous a rogné les ailes
les ailes de nos sept péchés

et au bout du voyage c’est terrible d’être un homme avec une femme
il y a des trains qui ne se rencontrent jamais
d’autres se perdent en route

car je suis encore fort mauvais poète
car l’univers me déborde
car je ne sais pas aller jusqu’au bout
et j’ai peur

j’ai vu
j’ai vu les trains silencieux les trains noirs qui revenaient
de l’extrême-orient et qui passaient en fantôme
et mon œil, comme le f-n-l d’arrière, court encore derrière ses trains
à talga 100 000 blessés agonisaient faute de soins
j’ai visité les hôpitaux de krasnoïarsk
et à khilok nous avons croisé un long convoi de soldats fous
j’ai vu dans les lazarets les plaies béantes les blessures qui saignaient à pleines orgues
et les membres amputés dansaient autour ou s’envolaient dans l’air rauque
l’incendie était sur toutes les faces dans tous les cœurs

des doigts idiots tambourinaient sur toutes les vitres
et sous la pression de la peur les regards crevaient comme des abcès
dans toutes les gares on brûlait tous les wagons
et j’ai vu
j’ai vu des trains de soixante locomotives qui s’enfuyaient à toute vapeur pourchassés par les horizons en rut et des bandes de corbeaux qui s’envolaient désespérément après
disparaître
dans la direction de port-arthur

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