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letra de bisesero (rwanda 94) - cerna

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il marche
comme il peut, il marche sur la ligne de front
il chemine du pas esseulé des soudards sans solde
soldats perdus
de ces sans-grade que le raffut des combats a rendu sourds
à eux-mêmes
ses 20 automnes déjà meurtris, à l’heure d’aimer, tout lui répugne. sa naïveté obscène, sa tardive amertume
c’est l’arrière goût d’une sale victoire
il le sait trop alors tant pis…

il fredonne
comme il peut, fredonne l’air des insoumis
le chant sinistre des renégats, la complainte des parjures, des déserteurs du champ d’honneur
il a renoncé à la gloire des sales besognes
rien ne l’écœure plus que l’odeur entêtante de la suie et du sang, qui le suit où qu’il aille, et qui l’enivrait tant
il trimballe son dégoût de la frénésie du m-ssacre
il le sait bien, c’est un peu tard

il s’approche
comme il peut, s’approche
de la ligne de démarcation qui sépare conquérants et conquis, frontière tracée à la règle entre combattants et civils, entre ce qu’il fut et ce qu’il est
il a bien tenté de le soigner à l’eau de vie
son corps chétif rendu robuste par l’humiliation, le mépris. dans les vapeurs de l’alcool, il a cherché une mort digne
il n’a pas su y laver sa honte. c’est impossible

il cherche
comme il peut, il cherche
le lieu où tout bascule, où quelque chose s’est éteint, où la douleur a laissé place à la fureur pour toujours. maudite colline qu’il reconnaîtrait d’entre toutes : bisesero
elle le poursuit dans son sommeil
et dans sa veille, quand il est à compter les heures
attendre l’aube, pour marcher encore et encore
en sentinelle de l’absurde. mais un rien seul

il gueule
comme il peut il gueule, lâche ce cri étouffé
vomit les razzias, les aveux sous la torture. il pleure la folie -ss-ssine, le prestige tortionnaire des siens qui sont venus dompter l’afrique
il connaît bien l’issue de sa course. sa mutinerie arrive à terme
mais d’ici là, les scènes fixées sur sa rétine ne lui laisseront pas de répit
pas de repos. et c’est tant mieux

il arrive
c’est qu’enfin il arrive là où l’histoire s’achève
en fusillade ou coup de machette
là d’où vient sa gamberge, gangrène des champs de bataille
où il croisa enfin l’ennemi : gamins ou vieillards tutsi, derniers rescapés des tueries, et à leurs trousses, les militaires et miliciens fanatisés
formés et encadrés sous la bannière bleu blanc rouge
jusqu’à la solution finale. oui, jusqu’au bout

rwanda, bisesero, fin du périple. le paysage est magnifique, il ne le voit plus qu’anéanti
théâtre d’ombres, terre de soupirs d’un peuple d-mné, qui fut traqué jusqu’au dernier
rwanda, bisesero, fin du périple. il sait trop bien son sacrifice vain et tardif
mais la déchirure est profonde. juste en finir. juste en finir

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